Il y a quelques jours, ma soeur m’a envoyé cette vidéo de la célèbre chaîne Youtube Et tout le monde s’en fout (que je vous conseille). Et ça m’a inspirée.
Comme l’explique le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste du concept de résilience, nous vivons dans une culture qui valorise l’individu, le succès, l’argent. C’est au nom de la performance que l’on a développé des formes d’élevage intensif qui favorisent la naissance de virus. La course technologique, aux transports, le commerce international, la globalisation, ont ensuite permis son extension du virus sur l’entièreté du globe.
C’est uniquement maintenant, face au coronavirus, en pleine crise, que nous nous rendons compte que nous préférons une crise économique à une catastrophe humaine. Nous assistons à une vraie révolution de la pensée, une révolution dans la hiérarchie des valeurs morales, dans l’ethos !
Le fait que nous soyons aujourd’hui dans une situation inédite fait que nous faisons face à l’inconnu comme je l’expliquais dans mon dernier article. Or l’inconnu fait peur car il nous force à sortir de notre zone de confort, à avancer à tâtons sans savoir ce qu’il va se passer. Cela nous pousse à sortir des codes, des pensées limitantes, afin de laisser place à l’imaginaire : car sans règle, sans codes, tout peut arriver.
C’est inconfortable, oui, mais c’est une bonne chose. D’une certaine façon, sortir des normes et des cadres que nous connaissons (routines, règles, habitudes, organisation personnelle et professionnelle…) c’est aussi remettre en cause notre rapport avec la notion d’impossibilité.
Coronavirus, confinement : faire le bilan pour changer nos habitudes
Démonstration : nous sommes actuellement dans une situation inédite qui amène à un changement de paradigme concernant nos idées. Par exemple de nombreux politiques demandent aujourd’hui la régularisation des sans-papiers, reposent la question de l’instauration d’un revenu universel, souhaitent geler les loyers… Quant à nous, et nos actions individuelles, nous nous retrouvons à privilégier nos courses chez des producteurs locaux (et s’ils n’ont pas de tomates car ce n’est pas la saison et bien tant pis !), nous constatons que nous pouvons vivre sans faire de shopping, nous apprenons à faire les choses nous-mêmes, à prendre le temps…
Des habitudes qui étaient ancrées en nous sont remises en question : est-ce utile ? est-ce que cela m’est bénéfique à moi et à la société ? pourquoi est-ce que je ne faisais pas cela avant ?
Comme l’évoque la vidéo, il serait bon de faire un bilan de ce qui est mis en pause : que faut-il reprendre ? que faut-il modifier ? que faut-il supprimer, lorsque le confinement sera levé ? C’est une des propositions du sociologue, anthropologue et philosophe Bruno Latour qui propose de faire l’inventaire des activités suspendues par le confinement grâce à ces questions :
- Quelles activités suspendues par le confinement ne devraient pas reprendre ? Pourquoi ça vaudrait mieux que ça reste comme ça ?
- Que fait-on des gens qui travaillent actuellement dans ces activités ?
- Quelles activités suspendues par le confinement devraient reprendre et se développer et pourquoi il faut que ça évolue ?
- Que pourrait-on faire pour valoriser ces activités ?
Car dans tous les cas, il nous faut faire le deuil du monde d’avant. Ce peut-être difficile à croire que le confinement n’est pas une parenthèse alors que nous sommes tous isolés dans notre bulle, pourtant, la vie ne pourra pas reprendre comme avant.
Faire le deuil du monde d’avant
Dans un entretien accordé à Mediapart, l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau trace un parallèle avec les attentes des Français lors de la première Guerre Mondiale :
Face à une crise immense, ses contemporains ne semblent pas imaginer autre chose qu’une fermeture de la parenthèse temporelle. Cette fois, on imagine un retour aux normes et au « temps d’avant ». Alors, je sais bien que la valeur prédictive des sciences sociales est équivalente à zéro, mais l’histoire nous apprend quand même qu’après les grandes crises, il n’y a jamais de fermeture de la parenthèse. Il y aura un « jour d’après », certes, mais il ne ressemblera pas au jour d’avant. Je peux et je souhaite me tromper, mais je pense que nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois.
Au-delà d’une remise en question profonde de ce qui est en place et qu’il faut modifier, ou qui va changer, il est également bon de s’interroger sur ce qui n’est pas encore en place.
Qu’est-ce qui paraissait jusqu’alors impossible mais qui ne l’est (peut-être) pas si vous modifiez simplement un schéma de pensée ? Nous sommes face à une ardoise blanche, à nous de la remplir en conséquence en faisant le tri de ce qui est important, ou pas. C’est une opportunité en or pour apporter plus de sens, plus de lenteur, plus de lien dans notre vie d’après.
Comme le pressent Boris Cyrulnik :
Il va y avoir un conflit entre ceux qui voudront la continuité et ceux qui voudront changer de civilisation. Je pressens déjà que des économistes vont dire « on sait ce qu’il faut faire pour relancer l’activité », et sûrement vont-ils réactiver des processus qui ont mené à la catastrophe, c’est à dire la consommation excessive, le sprint culturel.
La question est : va-t-on les laisser faire ? Quelle pierre allons-nous, pouvons-nous apporter à cette reconstruction pour aller vers un monde meilleur ?